Au départ, on voulait juste faire un innocent article sur la concertation, avec quelques critiques puis quelques propositions. Un article du genre « nous on sait ce qu’il faut faire ». Du coup, l’un d’entre-nous a écrit puis on se concerte pour finaliser. Et là, en se concertant sur un article sur la concertation, on a soulevé plein de petites questions qui se sont transformées en grandes questions existentielles bien déprimantes :
« On en tire quoi de nos concertations ? »
« Mais pourquoi on fait de la concertation au juste ? »
« Pourquoi tout le monde s’en fout ? Surtout ceux pour qui ont le fait ? Les habitants ? »
« Toi aussi tu as envie de tuer le vieux qui gueule le plus fort à chaque réunion ? »
« Ça va toi en ce moment ? Ça a pas l’air d’aller top… »
Évidemment, en façade, tout le monde trouve la concertation super, avec plein d’enthousiasme, notamment les agences qui ressemblent à la nôtre. Chacun a ses solutions miracles. Mais derrière les beaux sites web, la vérité est tout de même moins colorée et souriante. Des spécialistes de la concertation qui, réunion publique après réunion publique, croient de moins en moins en l’espèce humaine… Des techniciens des collectivités qui n’en peuvent plus de devoir concerter pour tout et n’importe quoi (et ça ne devrait pas s’améliorer avec les élections municipales 2020)… Des opérateurs immobiliers qui y croient plus ou moins, ou alors qui n’y croient plus trop à force d’usure. Mêmes les habitants en ont marre, ça dure longtemps, ça n’avance pas et on ne fait pas ce qu’ils ont dit…Il y a pourtant, ces dernières années, beaucoup de bonnes volontés et de bonnes intentions sur la concertation, avec de bons résultats. Mais c’est la pratique qui casse tout cet enthousiasme.
Pour avancer doucement mais sûrement, on peut déjà dessiner un constat de ce qui ne marche pas dans la concertation. Là dessus, on est presque tous d’accord.
Premièrement, il y a un gros problème lié au temps de l’aménagement. C’est un temps très très lent et c’est compliqué à gérer pour tout le monde. Concerter sur un projet d’aménagement dont les premiers coups de pelle ne débuteront que cinq années plus tard, c’est frustrant. Concerter pour améliorer un modeste espace public, faire ressortir des besoins très simples de bancs et attendre trois ans pour avoir enfin le banc installé, c’est très très frustrant. Et lorsque les démarches de concertation viennent encore rallonger les temps de réalisation (enquête publique, recours contentieux, arbitrages politiques …), ça devient franchement totalement désespérant. Les habitants veulent bien de la concertation mais ils veulent du changement avant tout. Si on arrivait à réaliser plus rapidement les demandes simples, ce serait déjà une grande victoire. Comme nous l’a dit un jour un habitant à un atelier de cartographie participative : « non mais vous nous embêtez avec votre participatif. Faites comme c’était prévu au départ et qu’on n’en parle plus ! »
Deuxièmement, on ne concerte pas avec tout le monde. On a beau diversifier les méthodes et les outils, organiser un concert gratuit avec cubi de vin à volonté, c’est globalement toujours les mêmes personnes qui s’expriment (hommes, blancs, entre 50 et 70 ans, classe moyenne / classe supérieure). Et puis elles se déplacent avant tout pour défendre leurs intérêts privés : la tranquillité de leur jardin, la valeur de leur maison, le calme de leur quartier, etc. Plus on concerte, plus on donne du crédit à des stratégies défensives pas toujours soucieuses de l’intérêt général (mais très compréhensibles). Si à chaque concertation ce sont toujours les mêmes qui parlent c’est quand même qu’il y a un problème et que cette démocratie n’est pas vraiment participative non ? Au contraire elle est même « confisquée » par ceux qui savent comment et où se faire entendre.
Il faut aussi accepter que beaucoup de personnes s’en foutent ou ne se sentent pas en position pour donner leur avis. Par exemple nous, on se sent pas du tout légitime pour donner notre avis sur la manière d’améliorer telle voiture ou telle recette de compote. Alors pourquoi tout le monde se sentirait pertinent pour discuter de l’aménagement d’un quartier ?
Troisièmement, à tout vouloir concerter, on aboutit à des projets qui ne sont plus qu’une addition de compromis et qui perdent beaucoup en ambition. On a beau faire un bon travail avec les riverains, avec un programme négocié et intelligent, tout peut s’écrouler sur la ligne d’arrivée avec un élu qui cède à un habitant râleur lors de la réunion de restitution (surtout à 6 mois d’élections municipales) en lui disant : « vous avez raison Monsieur Robert, nous allons enlever deux étages. Les architectes reprendront le projet la semaine prochaine.» Et ben non ! Monsieur Robert n’a pas forcément raison. Monsieur Robert il veut rester peinard, c’est tout. Et si tout le monde veut rester peinard, ce qui est très légitime, et bien on ne loge plus personne et on s’ennuie fermement.
Quatrièmement, on n’arrive vraiment pas à mobiliser les habitants sur des questions de planification, de stratégies de territoire, de prospective (SCOT, PLUi). Aujourd’hui, si personne ne participe sur ces sujets, c’est parce que personne ne comprend vraiment de quoi il s’agit et que les gens ont du mal à imaginer l’avenir à 10 ou 20 ans. C’est pourtant là que tout se passe. La grosse flèche verte sur le SCOT, c’est elle qui va vous empêcher cinq ans plus tard de donner une partie de votre terrain pour que votre enfant construise dessus. C’est sûrement à cette échelle que la concertation demeure la plus importante car c’est à cette échelle qu’on peut le mieux parler de l’intérêt général. Mais pour y arriver il faut arrêter de considérer la concertation comme une simple obligation du code de l’urbanisme (3 réunions publiques, un registre et c’est terminé ni vu ni connu).
Bref, la concertation ça marche moyen… Enfin si, ça marche pour au moins deux choses :
- combler les lacunes des espaces publics en terme de confort (bancs, arbres, ombres, cheminements larges, nature, grands arrêts de bus). Mais pour cela, pas besoin de concerter absolument, il faut prendre en compte dès le début les besoins des habitants qui sont presque toujours les mêmes : s’asseoir, se déplacer à vélo ou en fauteuil, avoir de l’ombre et des arbres, des jeux pour enfants. Encore faut-il que les habitants soient cohérents et ne râlent pas contre les feuilles de ces mêmes arbres ou le bruit des ces jeux pour enfants… À ce sujet, le succès des budgets participatifs est très parlant. Tout le monde s’exprime, sur des sujets très quotidien, et les collectivités s’engagent à les réaliser rapidement.
- Se faire entendre sur une vision de la société qui ne nécessiterait pas d’énormes infrastructures ou projets (aéroport, complexes commerciaux), et qui laisserait davantage de place à la nature. Bien entendu, ça pose plein de questions mais disons que les militants anti aéroport de Notre-Dame des Landes ou antiEuropacity ont su se mobiliser au delà de toute concertation organisée pour empêcher ces projets.
Adpater la méthode : du terrain, du dessin et de l’envie
Dire que la concertation ne marche pas très bien ne veut pas dire qu’il faut tout arrêter … il faut surtout se demander pourquoi ? Pourquoi on va solliciter l’expertise des habitants ? Pourquoi on a besoin d’eux ? Qu’est-ce que la concertation a amené de positif dans ce projet ? Pourquoi les habitants s’en foutent ?
Nous, à première vue chez deux degrés, on pense qu’il faut surtout proposer des visions. Des visions de l’état actuel et surtout des visions de ce que pourrait être un territoire demain. Cela passe par des enquêtes de terrain pour écouter ce que tout le monde a à dire (à conditions qu’on veuillent bien écouter…cf. les gilets jaunes). Cela passe aussi par des visions collectives de territoire, avec des outils pour se projeter, réagir, dire oui, dire non, donner envie. Mais comme on a un doute sur les solutions miracles, on a décidé de prendre le temps d’enquêter sur la concertation, de voir ce qui se fait à droite à gauche, d’entendre des techniciens nous raconter en off tout ce qui a foiré dans leurs projets, voir des urbanistes pleurer en nous parlant de leur 25ème atelier sur le réaménagement d’un parc qui aboutit à un abandon du projet à cause de la peur des moustiques tigres, rencontrer des habitants nous dire que tout avait été bien pensé depuis le début, que le projet est très bien.
La concertation on y croit mais ça mérite de se poser de bonnes questions avant. Donc, comme on dit souvent : « on revient très vite vers vous avec des réponses » (réponses qui n’arrivent jamais rapidement dans le monde de l’aménagement). Voilà donc une fin d’article très frustrante mais qui ouvre la discussion. Alors n’hésitez pas à nous contacter pour nous donner votre avis. Vous pouvez même râler, vous plaindre, on prend le temps d écouter avant de proposer des pistes constructives.
Pour nous partager vos idées, nous faire passer vos remarques, nous expliquer que notre mission de concertation prendra fin prochainement, contactez nous ici > contact@deuxdegres.net